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La suspension du jugement ou les origines du scepticisme dans la philosophie antique

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La suspension du jugement ou les origines
du scepticisme dans la philosophie antique.
Patrick Perrin

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XII/XII LE SCEPTICISME ET LE FIDEISME



Philon d'Alexandrie
Philon d'Alexandrie

Avant que nous nous quittions, je voudrais brièvement vous parler d’un nouveau rapt commis, une fois encore, par le monothéisme judéo-chrétien. Dans mon premier article, j’ai attiré l’attention sur l’appropriation du logos effectuée par la pensée chrétienne. Mais, si l’on y réfléchit bien, les chrétiens n’ont fait que le renvoyer à son point de départ : le logos divin d’Héraclite. Ils se contentèrent donc de le réinsérer dans le champ de la transcendance. Par contre, et comme nous l’avons amplement vu, non seulement le scepticisme n’a rien à voir avec la transcendance mais nous pouvons dire qu’il est l’un de ses ennemis les plus acharnés. Alors, comment ont-ils réussi ce tour de force ? Tout commença avec un penseur du premier siècle après J.C. : Philon d’Alexandrie (qu’il ne faut pas confondre avec Philon de Larissa, précédemment évoqué.) Brillant représentant de l’Ecole d’Alexandrie (institution fondée à la fin du IV siècle av. J.C.), Philon a jeté une passerelle entre la philosophie grecque et la révélation biblique. C’est ainsi que, doté d’une vision éminemment religieuse du monde, il a intégré dans cette vision transcendante un certain nombre de concepts empruntés à la pensée hellénistique en les trahissant d’ailleurs le plus souvent. Et, parmi ceux-ci, il lui fut loisible d’inclure un scepticisme qu’il connaissait très bien. (En atteste le fait qu’il exposa la première version des tropes d’Enésidème.) Aussi ne manqua-t-il pas de noter que l’une des questions soulevées par le scepticisme est celle-ci : affirmer que la connaissance véritable des choses est impossible signifie-t-il qu’il n’existe aucun objet de connaissance ? Et, d’autre part, existe-t-il un ordre de réalité hors de portée des sens ? (A ce propos, nous pouvons évoquer le nihiliste Emile Michel Cioran (1911/1995) selon lequel le philosophe ne pouvait se sauver de la médiocrité que par le scepticisme ou, à son opposite, par le mysticisme.) C’est à partir de cette alternative que naquit le fidéisme de Philon. Mais, qu’est donc le fidéisme ? D’origine théologique, ce terme désigne une doctrine selon laquelle seule la révélation est susceptible de garantir le vrai. Et cela d’autant que la raison ne permet pas de connaître la nature des choses. Or, que nous dit d’autre le scepticisme ? Pour le fidéisme, que dieu soit inconnaissable n’est plus un problème puisque la certitude de son existence repose sur l’assentiment préalable à une révélation divine. C’est ainsi que les croyants (et notamment St Augustin) finirent par comprendre que le scepticisme n’était pas un obstacle à la foi mais, au contraire, une doctrine tout à fait à même de la renforcer. Dès lors, et comme le dit très bien Carlos Levy (Ibid. p. 86) : « La suspension du jugement acquiert ici une signification sacrificielle. L’ignorance humaine n’est que le revers de l’omniscience divine. » Par conséquent, s’il est encore possible de suspendre son jugement sur les choses ordinaires, il est absolument impossible de procéder de la même manière à l’égard de dieu. Celui-ci est lorsque la raison n’est pas. Or, comme elle est souvent absente, toute la place est laissée au divin. Curieux destin pour le scepticisme, ne trouvez-vous pas ?


Ceci étant, l’opportunisme des chrétiens ne parviendra pas à éradiquer une conception du monde qui dépasse très largement le champ strict de la philosophie (tout comme le dogmatisme, il faut bien le reconnaître.) Nous verrons dans mon prochain article que le scepticisme, notamment pyrrhonien, sera repris par Montaigne ; combattu par Descartes et Kant et quelque peu altéré par Hegel. Plus tard, nous le retrouverons chez Hume et, en filigrane, dans le nihilisme Nietzschéen. Salutaire garde-fou dressé contre le dogmatisme, le scepticisme enseigne l’humilité et s’il est impossible de douter de tout, il n’en reste pas moins indispensable de connaître la fragilité de nos connaissances et celle de nos jugements.


Patrick Perrin



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